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Poèmes et Citations

Ce soir je vais au Balajo

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Ce soir je vais au Balajo,

 

Si je reviens sur l’esquisse du passé, celui de nos parents, celui de nos grands-parents, c’est par attrait et par nostalgie d’une époque que notre génération n’a pas connue et pourtant, tellement évoquée par nos ainés qu’il me semble presque l’avoir traversée.

 

A la recherche des moments oubliés, des instants égarés par la rapidité du monde, pour redécouvrir le décor et l’atmosphère d’une époque agréable, qui nous a échappée. Ce soir j’ai envie de passer devant le Balajo et de m’y arrêter un instant, pour y apercevoir danser mon grand-père et sa jeune épouse.

 

Dans cette même rue, aujourd’hui arpentée, à une cadence effrénée, par une foule reliée par leur mobile ou leur mp3, qui se croise, sans ce voir, qui se bouscule, sans regret et qui ne voit plus rien... qui n’a plus ce regard lumineux, des gens heureux, bonheur sans artifice, moment simple apprécié et merveilleux.

 

Ces passants affairés, d’un genre nouveau, qui avancent, sans rien regarder, sans rien apprécier et un jour s’arrêtent, parce que heurtés à un obstacle ils ne peuvent plus avancer, on appelle ça stress, pression, cadence infernale.

 

Alors, où sont les badauds ?

Qui sait encore ce que signifie ce mot ?

 

"Avant", ce mot souvent employé par nos ainés pour parler d'un moment, évoquer un temps qu'ils regrettent et que nous ne connaissons pas... Avant, oui avant les gens prenaient le temps. Ils travaillaient dur, ils travaillaient aussi beaucoup mais après le travail, ils prenaient plaisir à une pause banale, simple et festive. Ils savaient vivre simplement et apprécier les bons moments.

 

Alors, je retourne vers ce temps que je ne connais pas, je vais vers ceux qui pourraient nous apprendre à s'arrêter et juste regarder la pluie derrière la vitre d'un café, regarder le ciel en remontant son col de veste et marcher en flânant.

 

Je descends la Rue Saint Antoine en contournant ses passants trop pressés, Place de la Bastille, je prends par la Roquette et je vais à la rencontre des figures du passé, Rue de Lappe. J’y croise ces femmes, joliment vêtues, gracieuses dans leur manteau resserré à la taille, leurs fins escarpins, sac à la main et gantées.

Elles sourient, devant les vitrines, qu’elles prennent le temps de détailler, elles se parlent en marchant et croisent le regard des messieurs, qui lisent leurs journaux et fument à la terrasse du café en souriant. Chacun goute cet instant, comme s’il ne devait pas durer, certains, prenant plaisir à voir passer devant eux, celle qui un jour ravira leur cœur.

 

Je marche avec eux, et je souris à leur vie.

Je m’arrête, le temps qu’il faut, pour explorer leur passé et les regarder vivre.

Je remonte, en contre sens ce temps qui s’est accéléré, pour faire connaissance avec ceux de notre passé, de notre histoire et de nos vies.

Ils ont connu ce Paris merveilleux des petits matins brumeux, où ils partaient à pied, à travers les rues, pour embaucher à 8h00 et travailler la semaine de 40 heures et travailler, ailleurs aussi, le samedi, pour arrondir les fins de mois.

Ils n’avaient pas tout mais ils avaient plus que ça, et appréciaient tout, tout ce qui pour notre époque est devenu obsolète, sans intérêt et perte de temps parce que nous n'apprécions plus la simplicité d'un moment, d'un achat après une longue attente, un regard poli et expressif, le chant d'un marchant, le rire d'un inconnu.

Ils ne se plaignaient pas de qu’ils n’avaient pas, ils travaillaient dans l’espoir, d’avoir un peu plus, et appréciaient ce qu’ils pouvaient s’offrir.

Ils prenaient leur vélo, le bus et saluaient sur leur passage les figures connues du Paris qui s’éveille, la concierge, qui balai devant sa porte, le poinçonneur du métro. 

On entendait, siffler dans les rues, les commerçants ouvrir leurs volets, le primeur arranger ses légumes.

On s’arrêtait au comptoir, lire le journal et avaler son petit noir, ou son café crème avec un croissant chaud sorti du four du boulanger d’à côté, qu’il avait pétri dans la nuit.

Le soir, on rentrait, fatigué et même éreinté d’une journée d’ouvrage, de travail ou de labeur mais on s’arrêtait au café du coin pour voir les copains puis on rentrait, la soupe attendait et ensuite on écoutait la radio.

Ensuite est venue la télé et puis tout s’est accéléré. 

 

Alors ce soir, j’ai décidé d’arrêté le temps et de retourner les voir, passer avec eux un moment comme avant, remonter la rue à contresens des passants pressés, de notre époque déshumanisée, je vais à la rencontre du mot AVANT, du Paris et de la joie de vivre d’antan, et j’y reste pour la soirée.

 

C’est là, dans le 11ème arrondissement de Paris, que je rejoins Liliane, Marcel, Nelly et les autres.

Ils sont tous si jeunes, plus jeunes que moi parce qu’ils ont vingt ans.

Lorsqu’ils ne travaillent pas au bureau ou à la RATP, ils ont leurs habitudes et se retrouvent là, au Balajo.

Liliane et son mari jouent de l’accordéon et chantent, Marcel enlacent Nelly et ils dansent.

Il y a foule, ce soir au Balajo.

C’est vendredi et tous viennent s’amuser.

Les rires commencent à remplir la pièce. La musique accompagne cette belle soirée, la fumée des cigarettes brunes, se diffuse dans la salle, les demis, ballons et autres boissons circulent sur les immenses plateaux des garçons au tablier blanc, manches de chemise retroussées.

 

Une plaisanterie, un compliment, un mot charmant, un regard ardent et un amour naissant…

les heures s’écoulent, tout simplement.

 

Ils dansent et autour d’eux, tous chantent et font la fête.

Nous ne sommes qu’au beau milieu des années 1930 et la jeunesse, qui a connu une première guerre, qui a vu un père ou un frère partir et ne pas en revenir, a simplement envie de vivre.

Ils vivent leur époque, leur joie, leurs amours, ils vivent ce que nous ne connaitrons pas et qui pourtant nous fascine tant.

 

Alors moi, j’ai décidé d’aller les voir, de m’assoir au Balajo, de les regarder danser, s’amuser et s’aimer et ce soir, je rentrerai tard, parce qu’il y a du monde Rue de Lappe, il y fait bon et tout le monde profite de ces instants simples et badins.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans les années 90, alors que je travaillais dans le 11ème arrondissement, Rue Ledru Rollin, je fréquentais le Balajo après le travail, nous nous y rendions avec quelques collègues et nous y passions un moment agréable dans cette atmosphère d’antan.

Comme souvent les jeunes qui pensent avoir découvert quelque chose d’inaccessible à leurs ainés, je ne parlais pas de mes sorties avec mes grands-parents, c’est plus tard au hasard d’une conversation que j’ai appris, que c’est là, que mon grand-père venait y danser avec Nelly sa première femme, accompagnés à l’accordéon de Liliane, la sœur de Nelly et son mari, tous deux musiciens.

 

En évoquant le Balajo, mon grand-père a eu ce regard lumineux de ceux qui se remémorent leur passé, avec ce ravissement intérieur des images qui les ramènent à leur 20 ans.

 

En écrivant la vie de mon frère, je ne pouvais pas manquer d’évoquer quelques quartiers de Paris qu’il a aussi parcourus, bien connus et que nous avons partagé tout comme l’ont fait avant nous nos ainés.

 

Aujourd’hui le Balajo existe toujours, je n’y suis pas retournée, mais je suis passée Rue de Lappe et comme dans d’autres rues et d’autres quartiers, je n’y ai pas retrouvé ces passants qui flânaient, qui souriaient, je n’y ai pas retrouvé l’ambiance du Paris des années 30 qui s’éveille.

 

Alors ce soir, je me suis assise, un instant, en compagnie de ceux qui y sont passés avant nous et j’ai passé du temps, à les voir heureux.

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